Il y a 150 ans les débuts du chemin de fer
en Alsace.
Récit en allemand du voyage que fit en 1840 un habitant de Bâle qui se rendait de Mulhouse à Thann pour assister à la crémation des sapins, récit édité par une société littéraire de la ville de Bâle.
Ce récit fut publié une seconde fois dans l'almanach Sainte Odile de 1930. Et de larges extraits sont parus dans la revue « Carrefours d’Alsace » d'avril et de mai 1989. Ces extraits ont à nouveau été reproduits dans la revue AMEEF Echos n°10, parue en juillet-août 1989, avec une traduction de F. KIEFFER .
Un omnibus nous avait amenés à la gare de Mulhouse située à l'ouest de la ville. Suivant la place que nous occuperions dans le convoi, on nous indiqua une salle dans laquelle étaient regroupés les voyageurs pour les places. Dans cette salle d'attente, l'élégance s'allie à la commodité. Devant le bâtiment s'étendent des trottoirs couverts grâce auxquels les passagers peuvent atteindre les voitures à l'abri des intempéries. Les mêmes dispositions sont prises aux différentes stations. Le convoi est composé de trois types de voitures : diligences, chars à bancs et voitures (les trois types prévus par Koechlin). Bien qu'ils soient différents en ce qui concerne 1'é1égance et le prix, on ne trouve en règle générale pas plus de gens des classes aisées dans les diligences que dans les chars à bancs. Ce sont les conditions météorologiques qui déterminent habituellement la voiture dans laquelle on voyage de préférence. Celui qui voyage pour le coup d’œil montera plutôt dans un char à bancs, alors que par mauvais temps on voyagera très confortablement dans les distinguées diligences.
La ligne que nous nous apprêtons à parcourir est ouverte depuis le 1er septembre 1839 et constitue, avec une longueur de 6000 mètres entre Mulhouse et Lutterbach, une partie de la grande ligne en cours d'achèvement de Bâle à Strasbourg. C’est pour cette raison qu’elle est équipée à double voie sur cette section. Les 13000 mètres restant ne sont prévus qu'avec une seule voie. Bien qu'au premier coup d'oeil le terrain entre Mulhouse et Thann paraisse très favorable à l’étab1issement d’un chemin de fer, il a fallu avoir recours à de nombreux et coûteux ouvrages d’art à cause des cours d'eau et des routes qui la croisent. Entre Mulhouse et Lutterbach , donc sur une distance de 6000 mètres, on ne compte pas moins de 20 ponts et viaducs plus ou moins importants. Parmi ceux-ci on remarque plus spécialement le pont à deux arches qui enjambe l'Ill, un viaduc de plus de 100 mètres de longueur, et le pont sur la Doller qui relie les deux rives avec trois arches de 9 mètres d'ouverture chacune. En deux endroits, les routes royales qui relient Mulhouse à Thann et Belfort à Colmar, croisent la ligne sur des voûtes majestueuses. D'une façon générale, la ligne présente également dans les détails toute la perfection dont l'art peut s'enorgueui11ir dans ce domaine.
Le monstre magique aux forces infernales auquel nous allions devoir confier nos vies attendait le départ en soufflant par saccades comme s'il piaffait, impatient de pouvoir commencer sa tâche, cependant qu'à l'arrière plan on était en train d’en alimenter un autre en charbon afin de pouvoir, en cas d’une avarie, venir rapidement à l'aide du premier avec une force vigoureuse. Au bout de quelques temps, la cloche donna le signal du départ : les portes côté voies des différentes salles s'ouvrirent et chacun se hâta de prendre place dans la voiture qui lui était attribuée. La 1ocomotive haletante se prépara, 1a trompette retentit et déjà le convoi laissait la gare derrière lui, traversant la plaine dans un mouvement toujours plus rapide.
Simultanément, le départ fut signalé à partir de la gare à l'aide d'une espèce de ligne de télégraphe constituée par de petits drapeaux que l'on relève. Des gardes ligne, installés à une certaine distance les uns des autres afin de maintenir la voie en ordre retransmettant le signal en levant un drapeau de la même couleur, si bien qu'en quelques minutes, le départ d’une gare est signalé aux autres. En relevant des drapeaux d'une autre couleur, on indique immédiatement à la gare voisine qu’un accident s’est produit en cours de route. J'ai été moi-même témoin de la rapidité avec laquelle les secours arrivent lorsque au cours des premiers mois de fonctionnement de la ligne, nous sommes tombés en panne au beau milieu de la voie à la suite d’une indigestion de la locomotive, accompagnée d'une vidange totale de ses tripes. Au bout de peu de temps on vit arriver haletant le Napoléon (nom de la première locomotive) construit par Koechlin, qui d’une façon générale bénéficiait d'une très grande confiance compte tenu des incidents qui se produisaient à l’époque d’une façon répétée. Napoléon nous sortit ce jour-là réellement du pétrin.
Le voyage d'aujourd’hui , par contre , n’a été troublé par aucun incident. Comme porté par les ailes de l’ouragan le train passe en trombe devant quelques spectateurs ou des garde ligne debout de-ci de-là au bord de la voie. A peine remarque-t-on le pont sur l’Ill, à peine avons nous le temps d’admirer le magnifique viaduc qui se voûte au dessus de la ligne comme un majestueux arc de triomphe que l'art a placé là. L’industriel Dornach glisse devant nos yeux. Bientôt se fait voir le village de Lutterbach avec son grand pont dont la haute arche vue de côté à cause d’une courbe de la voie, ressemble à un rocher menaçant coupant la voie et contre lequel le train de voitures menace de s’écraser ( !) Mais le voilà lui aussi déjà disparu et subitement nous sommes bordés des deux côtés par la forêt dont les arbres semblent tourner autour de nous en une sauvage danse tourbillonnante. Nous échappons vite à la forêt et quelques minutes plus tard nous avons à notre droite la ville de Cernay, également appelée Sennen, avec ses manufactures. C’est ici dans une gare intermédiaire décorée d’un joli bureau et d’un « café du chemin de fer », que le convoi prend en charge les passagers qui attendaient. A peine avons nous quitté cette station que Thann nous montre son gracieux clocher. Pendant que nous filons de la sorte, les surveillants des différents voitures grimpent, vont et viennent sur les côtés du train, en partie pour ramasser les billets des paysagers, en partie pour se donner mutuellement rendez-vous. Quelques minutes encore et nous entrons dans la spacieuses gare de Thann qui est pourvue de bureaux extrêmement élégants, de remises et de magasins, et dont nous donnons ici une reproduction fidèle (le récit est ici accompagné d’une gravure).
Nous avons parcouru tout le trajet en moins d'une demi-heure. Nous avons derrière nous tout ce qui avait défilé devant nos yeux comme les images fantasmagoriques que le rêve présente à notre fantaisie. Le trajet de Thann à Mulhouse est couvert dans un temps encore plus court, car Thann est situé à une altitude de 95 mètres supérieurs à celle de Mulhouse. S'il y a un domaine où l’estimation préalable de la fréquence d'utilisation pêche par défaut, c’est bien pour la construction d'une ligne de chemin de fer. Qui aurait pensé qu'une voie ferrée relativement petite serait utilisée par plus de 20000 personnes par mois, et à une saison qui n'est pas la plus favorable
Hans